Discussion autour des livres – Octobre 2024

Nous avions l’habitude de nous réunir, pour « discuter des livres », le soir à 18h30. Mais cet horaire semblant dissuasif, surtout en hiver, nous avons convenu de fixer désormais ce rendez-vous le mardi à 14h30. Nous nous sommes donc retrouvées (toujours au féminin, les messieurs ne paraissant guère intéressés) le mardi 15 octobre pour parler des livres lus récemment. Ce moment est ouvert à toutes et à tous, soit pour parler du ou des livres lus, soit simplement pour écouter. Ci-dessous, un aperçu des livres évoqués ce jour-là

 

Christopher Bollen : Le disparu du Caire

Ce roman pourrait presque être considéré comme un policier. Mais, ce n’est pas un inspecteur qui mène l’enquête… Une jeune femme new-yorkaise apprend le décès de son frère en Egypte. Il travaillait pour une société américaine fabricante et vendeuse d’armes, surtout des missiles. L’un de ses gros clients est l’Egypte et Eric était chargé de l’entretien de ces armes dans tous les pays acheteurs. La police égyptienne a conclu rapidement l’enquête : Eric s’est suicidé en se jetant de la fenêtre de sa chambre d’hôtel. La société d’armes a admis tout de suite la version de la police égyptienne et a conclu un accord financier avec la famille d’Eric. Cate, sa soeur, ne peut admettre la thèse du suicide. Elle part au Caire où elle va difficilement essayer de savoir ce qui est arrivé à son frère. Un roman – donc tout n’est pas forcément vrai – mais l’auteur semble s’être bien documenté sur les stratégies des marchands d’armes, sur les pratiques assez terrifiantes de la police égyptienne, sur la vie au Caire : les riches familles et les étrangers d’un côté, le « petit peuple » de l’autre. Il faut peut-être s’accrocher au début, mais très vite le lecteur est pris dans ce monde bien différent du nôtre !

 

Agnès Desarthe : Le Château des Rentiers

Le livre tire son titre du nom de la rue parisienne du XIIIème arrondissement où vivait, dans un même immeuble, une communauté juive dont faisaient partie les grands-parents de l’auteure, Boris et Tsila. Tous étaient originaires d’Europe Centrale. Ce « phalanstère » improvisé abritait une vie joyeuse car tous ses habitants avaient échappé aux pogroms, à la déportation. Ils sont vieux, mais ils sont « encore là ». Agnès Desarthe évoque avec bonheur cette vie joyeuse, les comptines russes et le gâteau aux noix de sa grand-mère. Alors qu’aujourd’hui, être vieux est presque considéré comme une déchéance, ne serait-il pas possible de vivre cette période de la vie comme l’ont vécue ses grands-parents et leurs amis, plutôt comme un cadeau ? L’auteure raconte avec humour ce voyage à travers les générations.

 

Jean-Paul Delfino : Isla Negra

Isla Negra est le nom de la maison où vit Jonas, maison accrochée au bord de la falaise d’où les pouvoirs publics veulent l’expulser. Mais Jonas n’entend pas se laisser faire. Dans la ville voisine, tout le monde prend parti : les uns soutiennent Jonas, d’autres sont contre. Ce sont presque tous des personnages atypiques, comme Jonas, des cabossés de la vie. C’est un récit où se mêlent poésie et humour et qui met en scène le combat des idéaux écologistes contre le rouleau compresseur de la société de consommation. Le roman porte la parole des irréductibles. Livre facile à lire et qui tient en haleine.

 

Anna Enquist : Démolition

L’auteure, néerlandaise, est à la fois psychanalyste et romancière. Ses deux thèmes de prédilection sont la vie intime de ses personnages, qu’elle dissèque, et la musique qui imprègne tous ses romans. C’est aussi le cas dans ce livre : elle met en scène une jeune femme dont la vie professionnelle est un succès mais la vie personnelle, un échec. Bien qu’ayant vécu un traumatisme lors de ses études musicales, Alice va atteindre la notoriété par ses oeuvres : elle a choisi de devenir compositrice et écrit essentiellement pour des percussions. Mais le succès professionnel peut-il remplir une vie ? Alice veut un enfant et vit échec sur échec, ce qui finit par perturber ses relations avec son époux. Anna Enquist sonde l’âme et le coeur d’Alice, jusqu’à un dénouement inattendu. Roman émouvant, parfois un peu ardu mais qui mérite qu’on s’y attache.
Nota : deux autres livres d’Anna Enquist sont sur les rayonnages de la bibliothèque des Abeilles, Quatuor et Car la nuit s’approche, à lire dans cet ordre car l’histoire se poursuit d’un livre à l’autre. Démolition est « indépendant »

 

Louise Fein : La Librairie des faux-semblants

Londres 1962, l’époque de la guerre froide, avec en arrière-plan, la menace nucléaire. Celia travaille dans une librairie spécialisée dans les livres anciens.
La librairie est vendue à une américaine qui ne semble pas trop s’intéresser aux livres. Elle laisse Celia se débrouiller, ce qui plaît à la jeune fille.
Mais l’histoire, celle qui prend un h minuscule et celle qui prend un H majuscule va se compliquer. Cellia découvre que ses grands-parents, chez lesquels elle vit, sa mère étant décédée quand elle était très jeune, ne sont pas ce qu’elle croyait : les deux histoires se rejoignent alors et la vie de Celia est bouleversée. Son travail à la librairie l’amène dans le même temps à découvrir les secrets de la propriétaire : elle rejoint là aussi la grande histoire.
Un roman à suspense, des histoires d’amour et d’espionnage qui se mêlent.
La romance prend peut-être parfois un peu trop le pas sur l’histoire. Livre facile et agréable  à lire.

 

Alice Ferney : Deux innocents

Claire enseigne dans une école pour enfants en difficulté psychologique, école un peu « traditionaliste ». Elle aime ses élèves. Arrive un adolescent qui aime les contacts physiques. Alice le laisse faire. Elle est bientôt convoquée par la directrice avec laquelle elle a des rapports difficiles : celle-ci l’informe que la maman du jeune homme porte plainte car son fils aurait eu à subir des gestes inappropriés de son enseignante. Claire est renvoyée, se retrouve convoquée au tribunal. Elle ne comprend pas ce qui lui arrive. Alice Ferney s’est inspirée de faits réels pour écrire son roman qui est bouleversant. On comprend qu’en réalité, la mère de Gabriel est jalouse des liens qui se sont créés entre son fils et sa professeure qui ne reçoit aucune aide de son entourage professionnel. Une histoire très touchante.

 

David Foenkinos : La vie heureuse

Eric est cadre chez Décathlon. Il s’ennuie. Sa vie personnelle n’est pas plus enthousiasmante : un mariage raté, un fils dont il s’est éloigné… Un jour, une ancienne camarade d’études lui propose de la rejoindre pour l’épauler dans ses fonctions de directrice de cabinet du secrétaire d’État au Commerce extérieur. Eric accepte : lors d’un voyage en Corée où ils doivent convaincre les dirigeants de Samsung d’implanter une usine de trottinettes en France, Eric découvre une pratique thérapeutique inventée ici pour endiguer un taux record de dépression et de suicide : imaginer sa propre mort, la vivre en quelque sorte. Mais suffit-il de simuler son décès pour jouir d’une vie heureuse ? Qu’est-ce qu’être heureux ? La réponse est-elle la même pour tout le monde ? Peut-on avoir une seconde chance ?

 

Pauline Guéna : Reine

En 2015-2016, Pauline Guéna suit le quotidien des brigades criminelles de la police judiciaire de Versailles. De cette expérience, elle publie « 18.3 — Une année à la PJ » en 2020. Dans Reine, l’auteure nous raconte l’histoire d’une jeune femme équatorienne, employée dans un bar dont le patron est assassiné, une nuit. Les caméras de surveillance ont tout enregistré : l’assassin est Marco, un tueur à gages qui cette fois n’a pris aucune précaution. Un journaliste suit l’affaire. Il est manifeste que Reine était une véritable esclave sexuelle, mais elle reste mutique lors des interrogatoires. L’auteure signe là un roman noir mais avec des rayons de lumière : les personnages rêvent, aiment, font preuve de courage. C’est un livre humain et qui met en exergue la culture professionnelle de certains policiers : misogynie et racisme.

Jean Hatzfeld : Tu la retrouveras

Budapest, Hongrie, hiver 1944/1945. Deux gamines d’une dizaine d’années, Sheindel et Izeta, l’une juive, l’autre tzigane, ont trouvé refuge dans le zoo en ruine où errent des animaux affamés. Leurs familles à toutes deux ont été exterminées. Elles se donnent pour mission d’organiser la fuite des animaux hors de la ville tenue par les nazis et encerclée par l’Armée rouge. Elles sont aidées dans leur entreprise par un officier russe. Longtemps après la fin de la guerre, Sheindel revient à Budapest : elle entame une longue quête à la recherche de son amie. En 1995, à Sarajevo, elle poursuit toujours l’ombre d’Izeta… Les animaux jouent un grand rôle dans le roman : les fillettes cohabitent avec eux, les aiment, les aident, les nourrissent. Ils leur donnent une raison de vivre.
Un livre bien écrit, émouvant et parfois joyeux malgré le contexte.

 

Charlotte McConaghy : Je pleure encore la beauté du monde

Inti Flynn est une biologiste responsable d’un programme de réintégration du loup dans les Highlands écossais. Elle est confrontée à l’hostilité des habitants qui veulent protéger leur bétail et considèrent que le loup ne peut être qu’un prédateur. Le jour où Inti découvre le cadavre d’un homme qui semble avoir été mordu par des loups, craignant que cela ne porte préjudice au projet qu’elle gère, elle enterre le cadavre ! Inti est atteinte d’un trouble neurologique : un syndrome de « synesthésie visuo-tactile » qui lui fait ressentir dans son propre corps toutes les sensations qu’elle observe chez les autres, animaux inclus. Elle invite ainsi le lecteur à ressentir lui aussi les douleurs des humains et des animaux. Charlotte McConaghy pointe du doigt tout au long de son roman la violence la plus extrême des hommes, qui ne cherchent pas uniquement à dominer la nature, mais également les femmes… Le livre oscille entre entre thriller écologique et polar écoféministe. Un roman sur le langage et sur les loups.

 

Martin Suter : Melody

La Suisse aujourd’hui. Un vénérable vieillard très riche qui a occupé tout au long de sa vie des postes importants dans des domaines économiques et politiques engage un jeune juriste pour qu’il procède à une mise en ordre de ses archives, fort volumineuses : garder ce qui est de nature à donner de lui une image valorisante, détruire ce qui serait moins à son avantage. Mais la découverte de certains papiers par Tom, chargé de ce travail et les portraits d’une jeune femme qui ornent les murs de la demeure vont peu à peu faire émerger une histoire personnelle et très intime que le vieux monsieur livre au compte goutte. Nous sommes tenus en haleine par les multiples rebondissements qui paraissent parfois un peu trop beaux pour être vrais ! Un livre qu’on lit avec plaisir et très rapidement.

 

Atsuhiro Yoshida : Bonne nuit Tokyo

L’auteur souhaite à sa ville, à tous ceux qui y vivent et à tous ses personnages, une bonne nuit. À bord du taxi bleu nuit de Matsui, nous nous enfonçons dans la nuit , accompagnant tour à tour Mitsuki qui cherche des accessoires excentriques nécessaires aux tournages de films, une voleuse de nèfles, un détective qui se rend au cinéma à la séance d’une heure cinquante du matin, etc. Tout le monde cherche son chemin, parfois le trouve. Ce roman nocturne aux multiples histoires saugrenues, à lire de préférence à la nuit tombée pour en apprécier ses effets, vous emmènera dans un univers onirique où la réalité semble céder à un petit grain de folie insolite.

 

 

 

 

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