Discussion du 1er février 2022
Nous avons parlé des livres ci-dessous :
Madame Hayat de Ahmet Altan
Ce livre, qui a obtenu le Prix Femina étranger 2021, a été écrit pendant la détention de l’auteur en prison, en Turquie. L’emprisonnement de Ahmet Altan a connu de nombreux rebondissements, de tribunal en cour d’appel, avec des motifs d’incarcération qui changent régulièrement. Il a été libéré, en dernier lieu, en avril 2021. Le personnage principal Fazil, part, loin de chez lui, pour faire des études de lettres, sans le consentement de son père. Il loue une chambre dans une modeste pension où il tombe amoureux de Madame Hayat, une femme qui pourrait être sa mère. L’auteur décrit les rapports humains, fait des portraits de personnages, raconte la vie des « gens ». Il n’y a pas de véritable schéma narratif : l’auteur essaye de sortir de son enfermement par l’écriture.
La carte postale de Anne Berest
Ce livre plonge dans le passé familial de l’auteur dont la mère reçoit, un jour, une carte postale anonyme portant les prénoms de membres de sa famille d’origine russe juive, morts à Auschwitz en 1942. Longtemps après la réception de cette carte, Anne Bérest se lance dans une enquête dont le but est de découvrir ce qui s’est réellement passé dans la vie de ces personnes et qui est l’auteur de cette carte postale. Livre très prenant : on y découvre l’histoire et le vécu des familles juives pendant près d’un siècle, jusqu’à Auschwitz, ce qu’elles supportent pendant l’exode.
La brebis galeuse de Ascanio Celestini
L’auteur se met dans la peau d’un enfant dans les années 60 en Italie. Nicola est interné à l’âge de 9 ans dans un « institut spécialisé », en fait un hôpital psychiatrique, pendant 35 ans. L’auteur raconte de façon drôle et crue, sans aucune inhibition, la vie à laquelle le société condamne ceux qui ne sont pas « dans la norme ».
(Nota : ce livre ne se trouve pas à la bibliothèque des Abeilles. Il est paru initialement en 2010 et a été réédité en 2020)
Le rire des déesses de Amanda Devi
Amanda Devi est Mauricienne d’origine indienne, elle écrit en français. Ce livre, prix Femina des lycéens 2021, assez court, se lit très vite. Il est constitué de chapitres brefs qui mettent en scène essentiellement des femmes, dans le quartier des prostituées d’une ville pauvre au Nord de l’Inde. Ce quartier est un véritable cloaque où survivent des femmes qui n’ont plus rien, même pas d’espoir. Mais l’une d’elle arrive un jour avec une petite fille, encore un bébé, qui va grandir dans cet enfer. Elle est protégée par ces femmes et aussi par les « hijras », ces femmes que la société rejette parce qu’elles sont nées dans des corps d’hommes. Un homme va venir perturber ce petit monde : Shivnath, qui a toute l’apparence d’un homme de Dieu. Mais n’est-ce pas le diable en personne ?
La porte du voyage sans retour de David Diop
C’est ainsi qu’on appelle l’île de Gore d’où sont partis de millions d’africains au temps de la traite des noirs. Un jeune botaniste français y débarque en 1750, dans le but d’établir une encyclopédie universelle du vivant. Mais il entend parler d’une jeune africaine qui serait parvenue à s’évader il y a bien longtemps. Le jeune homme se lance sur ses traces : ses aventures nous plongent dans le Sénégal du XVIII siècle. L’histoire n’est qu’un prétexte à la découverte des us et coutumes du pays et de la vie des sénégalais de l’époque.
Un crime sans importance d’Irène Frain
L’auteur part d’un fait réel : sa soeur aînée a été victime d’un crime à 78 ans. Irène Frain n’avait plus de contacts avec sa soeur mais elle est touchée par cette mort qui laisse l’entourage de la victime assez indifférent. Irène Frain se lance dans une enquête auprès des voisins, mais il y a déjà eu plusieurs morts inexpliquées dont ont été victimes des personnes âgées. Ce sont des morts sans importance… L’auteur veut rendre hommage à sa soeur dont elle fait un beau portrait très émouvant.
La sage des Cazalet – Tome 4 : « Nouveau départ » de Elizabeth Jane Howard
L’auteure poursuit l’histoire de cette famille de la grande bourgeoisie anglaise., histoire commencée à la fin de la guerre 14/18 et qui en est maintenant à l’après-guerre 39/45. Les enfants ont grandi : ce sont maintenant de jeunes adultes dans un monde nouveau où les règles ne sont plus les mêmes. Les femmes doivent travailler, il est de plus en plus difficile de trouver « des bonnes » car les jeunes filles des classes populaires préfèrent le travaii en usine avec des horaires précis à une présence 24h/24 et 7j/7 dans des familles parfois exigeantes. Les adultes ont vieilli, certains sont morts. La « morale » n’est plus la même : une certaine permissivité envahit la « bonne société ». Ce roman facile à lire permet de découvrir l’évolution de la société anglaise au fil de 20ème siècle. Il est à la fois drôle et émouvant et met en scène des personnages attachants. Un tome 5 (et dernier ?) devrait paraître sous peu.
Les services compétents de Iegor Gran
Ces services sont ceux du KGB, en URSS, au début des années 60. Peu avant, Khrouchtchev a lancé la déstalinisation et opéré une ouverture vers le monde occidental tout en continuant une répression plus ou moins dure. Dans ce contexte paraît en France sous pseudonyme, « Le réalisme socialiste » ainsi que quelques nouvelles qui ne plaisent pas dans les sphères du pouvoir soviétique. Les services du KGB enquêtent mais vont mettre 6 ans à démasquer les « coupables » alors que cette affaire a été qualifiée de « Crotte de nez » par certains. Ces coupables ne sont autres que les parents de l’auteur qui affirme que tout ce qu’il écrit est vrai. C’est une description ironique du régime totalitaire qui règne en URSS, mais faite avec un humour grinçant et glaçant.
Le sel de tous les oublis de Yasmina Khadra
Ce livre décrit l’errance d’un personnage à la fois détestable et attachant alors que l’Algérie vient de devenir indépendante. La clé du livre est le rapport homme/femme auquel Adem Naït-Gacem, le héros ou anti-héros, ne comprend rien. Sa femme est partie : il sombre dans l’alcoolisme, devient SDF, mais toujours avec son port altier, sa morgue méprisante et une misanthropie affligeante. Le livre met en scène le contraste entre deux univers : la ville et la campagne, la modernité et la tradition.
La plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr
Le prix Goncourt attribué à ce livre de l’auteur sénégalais fait de lui l’un des plus jeunes Goncourt de l’histoire : il a 31 ans. Il a passé son enfance au Sénégal, mais suivi ses études secondaires et supérieures en France et écrit en français (obligatoire pour avoir le Goncourt !)
Deux lectrices se sont livrées à une présentation à deux voix de cet ouvrage épais (461 pages) qui se passe entre le Sénégal et la France. Le point de départ : en 2018, Diégane Latyr Paye, jeune écrivain sénégalais, découvre à Paris un livre mythique, paru en 1938 : Le Labyrinthe de l’inhumain. On a perdu la trace de son auteur, qualifié en son temps de « Rimbaud nègre », depuis le scandale que déclencha la parution de son texte. Diégane s’engage alors, fasciné, sur la piste du mystérieux T.C. Eliman. C’est tout à la fois une enquête policière et sociologique, avec des passages parfois crus, de nombreux personnages, « la littérature » étant dans le livre, un personnage à part entière. Quête de soi-même, recherche de l’identité, problème des racines… Livre difficile à raconter mais au dire de nos deux lectrices il ne doit pas faire peur !
Chevreuse de Patrick Modiano
L’auteur fait un retour dans le passé pour tenter de chasser sa peine de voir ses souvenirs s’effacer. Il veut retrouver des personnes qu’il a connues, mais il ne découvre jamais la vérité. C’est à nouveau cette ambiance si particulière à l’auteur : cette impression de flou si caractéristique de ses livres. Il faut se laisser porter par l’écriture et savourer sans vouloir tout expliquer.
Les samaritains du bayou de Lisa Sandlin
Un roman policer qui a le parfum des vieux films en noir et blanc ! On verrait bien Humphrey Bogart dans la peau du détective privé qui mène les enquêtes. Ce bayou-là ne se trouve pas en Louisiane, mais à l’est du Texas, dans une petite ville, au moment où la télévision diffuse, presque en continu, les auditions liées à l’enquête sur le Watergate, et surtout le rôle qu’y a joué Nixon. C’est donc le début des années 70. Il n’y a pas encore de téléphones portables, sans doute quelques ordinateurs, mais pas dans ce livre. Il y a deux personnages très attachant, le détective privé qui a perdu une main au Vietnam et sa secrétaire, en liberté conditionnelle. Elle a été condamnée pour avoir tué l’homme qui la violait. Pourquoi sont-ils des Samaritains : parce que dans les affaires qu’ils traitent, leur but essentiel semble être de venir en aide aux victimes. Un livre souvent drôle, agréable à lire, qui donne des Etats-Unis une toute autre image que ne livrent souvent les romans policiers où la violence et le sang sont omniprésents.
T. Singer de Dag Solstad
Wikipedia qualifie cet écrivain norvégien de « très cérébral ». C’est sans doute aussi ce qu’on peut dire de T. Singer, l’homme qui est le personnage principal de ce livre. Singer semble incapable d’aimer : sa seule ambition est de vivre seul et de passer incognito. Il a été marié : mari modèle puis veuf modèle et beau-père modèle d’une petite fille qu’avait eu sa femme avant son mariage. Disons qu’il est froidement modèle ! Il est bibliothécaire de formation mais la littérature ne l’intéresse pas vraiment. Qu’est-ce qui l’intéresse ? Difficile à dire ! C’est toutefois un petit roman parfois drôle et souvent intelligent.
La fille qu’on appelle de Tanguy Viel
« Demander de l’aide à son employeur n’est pas toujours sans conséquence ». L’employeur de Max Le Corre est le maire de la ville. Max est son chauffeur et pendant ses loisirs il est boxeur. Max est aussi le père de Laura, 20 ans, qui a décidé de venir vivre dans la ville où réside son père. Max se dit que demander de l’aide au maire pour trouver un logement pour sa fille est tout naturel. On retrouve les thèmes chers à l’auteur : le consentement, la morale, l’argent et le pouvoir. Les personnages portent des noms à consonance bretonne : Tanguy Viel est brestois !
Mentions spéciales pour deux livres dont il a déjà été question et qui ont été appréciés par de nouvelles lectrices : Le pavillon des combatantes de Emma Donoghue et Premier sang d’Amélie Nothomb.