Ci-dessous, une présentation des livres commentés par quelques lectrices lors de la discussion du 7 février dernier.
La prochaine « Discussion autour des livres » aura lieu le mardi 4 avril 2023, à 18h, à la bibliothèque.
Que reviennent ceux qui sont loin de Pierre Adrian
Après une assez longue absence, un jeune homme d’une trentaine d’années revient en Bretagne dans la maison familiale. Trois générations se côtoient, et le temps s’écoule, fait de petits bonheurs parfois presque insignifiants. La famille évolue sans vraiment changer. Le narrateur est replongé dans son enfance, les après-midi à la plage, les fêtes sur le port. A la fin de l’été, ce moment passé dans cette maison lui semble être le singulier raccourci de la vie qui passe sans que l’on en ait conscience.
Attaquer la terre et le soleil de Mathieu Belezi
Un roman qui incarne la folie et l’enfer de la colonisation de l’Algérie au 19e siècle. Roman à deux voix : celle d’une femme venue de Marseille avec sa famille pour peupler une colonie agricole et celle d’un soldat qui suit aveuglément les ordres d’un capitaine venu apporter sa vision de la civilisation dans cette terre au prix de massacres, de pillages de villages à coups de baïonnettes. Roman fait de sensations, d’émotions, de colère. Il a reçu le prix « Le Monde 2022 ».
Le mage du Kremlin de Giuliano da Empoli
L’auteur est né en France et possède la triple nationalité française, italienne et suisse. Il est professeur à Sciences Po Paris. Il a fait une partie de ses études en Italie, en particulier à Florence. Il a été adjoint au maire de cette ville, chargé de la culture, membre du conseil d’administration de la Biennale de Venise, conseiller du ministre de la culture italien et j’en passe ! Presque tous ses livres ont été écrits en italien et publiés en Italie. Le Mage du Kremlin est écrit en français et publié chez Galllimard. Il a reçu le Grand prix 2022 de l’Académie française. Ses livres précédents traitent plutôt d’économie, de politique. Le Mage du Kremin n’est pas exactement un roman, mais plutôt une biographie romancée : la biographie de Poutine, son ascencion rapide, sa vision du pouvoir, son absolutisme, le tout raconté par un ex-conseiller qui serait inspiré par Sourkov, homme d’affaire et homme politique russe, cofondateur du parti Russie unie, qui a mené Poutine au pouvoir. On retrouve dans le livre des personnages réels et des faits réels. C’est un portrait assez terrifiant du « Tsar », surnom donné à Poutine. Le récit s’achève avant l’invasion de l’Ukraine et il est dommage que les années qui ont suivi les jeux olympiques de Sotchi en 2014 ne soient pas traitées plus précisément.
Chien 51 de Laurent Gaudé
Ce livre est une dystopie doublée d’un roman policier. Qu’est-ce qu’une dystopie ? D’après Wikipedia, c’est « un récit de fiction dépeignant une société imaginaire organisée de telle façon qu’il soit impossible de lui échapper et dont les dirigeants peuvent exercer une autorité totale et sans contrainte de séparation des pouvoirs, sur des citoyens qui ne peuvent plus exercer leur libre arbitre ». En faillite en raison de sa monumentale dette, la Grèce est vendue à une entreprise la Goldtex. Les habitants se révoltent, mais la répression est dure : Zem Sparak est fait prisonnier et envoyé avec d’autres à Magnapole, mégalopole divisée en 3 zones : dans la zone 1 vivent les privilégiés, dans la zone 2 la classe moyenne et la zone 3 recueille les miséreux et la violence qu’engendre cette cohabitation. Dans cette zone 3, Zem est un « chien », c’est-à-dire un « flic ». Le roman projette le lecteur dans un futur où les catastrophes naturelles font partie du quotidien. Un matin, Zem découvre un corps mutilé, celui d’un homme venu de la zone 2. Il va mener l’enquête sous les ordres d’une policière de la zone 2, Salia.
Laurent Gaudé a transposé dans un futur peut-être pas si lointain, les problèmes qui émergent aujourd’hui dans notre société, en les accentuant : cela donne un roman prenant, plein de rebondissements, qui donne à réfléchir sur l’avenir de notre société.
Le rocher blanc de Anna Hope (Grande Bretagne)
Les précédents romans de Anna Hope (Le chagrin des vivants, La salle de bal, Nos espérances), sont tous les 3 présents à la bibliothèque. Le rocher blanc est un livre très différent, surprenant, à la fois par sa construction et par l’histoire qu’il raconte. Quatre personnages, appartenant à 4 époques différentes, sont en quête du Rocher blanc, un îlot situé au large du Mexique et qui est un lieu sacré pour le peuple Wixaricas. Les 4 histoires sont indépendantes l’une de l’autre, leur point commun étant le voyage vers le Rocher blanc. Une écrivaine, contemporaine, fait le trajet dans un bus avec sa toute petite fille et son ex-mari ; un lieutenant espagnol du XVIII s participe à une expédition ayant pour but de conquérir de nouvelles terres ; deux jeunes filles de l’ethnie Yoemes, peuple amérindien réduit en esclavage au début du XX s. et déporté vers le Yucatan pour laisser la place aux émigrants américains, subissent les pires traitements ; enfin, au XX s., un chanteur, drogué et complètement déphasé, quitte sa tournée et ses musiciens et part lui aussi vers le rocher blanc. Anna Hope dénonce les méfaits de la colonisation, le sort réservé aux populations locales, mais aussi les ravages de la drogue et de l’alcool avec le portrait de ce chanteur qui serait Jim Morisson. Il y a des passages très émouvants, en particulier dans les chapitres consacrés aux deux jeunes filles, mais c’est un livre dans lequel il est un peu difficile de rentrer. La documentation consultée par Anna Hope pour écrire ce livre, qu’elle détaille à la fin du roman représente un vrai travail de titan !
Sa préférée de Sarah Jollien-Fardel
Ce court roman est lauréat du Goncourt des détenus 2022, prix décerné pour la première fois et prix du roman FNAC. L’auteure est Suisse, journaliste et écrit là son premier roman. La narratrice, Jeanne, personnage principal, a un vernis social mais elle est détruite intérieurement. Elle a grandi dans une famille où la violence extrême du père est tolérée par la mère et les habitants du village, jusque par le médecin qui ne dénonce pas les faits qu’il constate. Jeanne réussit à s’extraire de ce milieu : elle devient institutrice. Elle se construit une nouvelle vie, tombe même amoureuse, mais son passé ne s’effacera jamais.
La nuit des pères de Gaëlle Josse
Isabelle qui vient de perdre son mari dans un accident de plongée est appelée au chevet de son père, dans les Alpes, par son frère Olivier. La santé de cet ancien guide de haute montagne décline peu à peu. Mais, la relation entre le père et la fille a toujours été très tendue : « tu ne seras jamais aimée de personne » lui a dit son père un jour. Père très colérique, marqué par la guerre d’Algérie. C’est pour Isabelle l’ultime possibilité de comprendre ce père odieux, pourtant aimé par son épouse qui essaie de faire écran entre lui et les enfants, car elle connaît les horreurs vécues par son mari. Les sentiments d’Isabelle vont évoluer au long du roman, à mesure qu’elle comprend ce que cet homme a traversé.
Quand tu écouteras cette chanson de Lola Lafon
Ce livre fait partie de la collection « Ma nuit au musée » des Editions Stock : un auteur est invité à passer une nuit dans un musée de son choix et à relater son expérience dans un récit. Ce livre a reçu le prix Décemmbre 2022 et le prix Les Inrockuptibles. Lola Lafon a passé une nuit dans la Maison Anne Frank à Amsterdam. Elle présente Anne Frank comme une véritable écrivaine et pas seulement comme la rédactrice d’un journal. Lola Lafon s’interroge sur le destin qu’a connu ce « journal » dont tout le monde connaît l’existence mais dont peu de personnes sont capables de parler, journal édulcoré par Hollywood. Au travers de son récit, Lola Lafon révèle aussi sa propre histoire familiale qui fait écho à celle d’Anne Frank.
Un miracle de Victoria Mas
L’histoire se situe dans le Nord-Finistère. Une soeur de la congrégation des Filles de la charité de Saint Vincent de Paul à Paris, soeur Anne, reçoit une prophétie d’une soeur âgée lui promettant une apparition de la Vierge en Bretagne, ce qui la pousse à accepter, gonflée d’espoir, une mission à Roscoff. L’histoire met en scène une famille sur l’île de Batz : le couple Bourdieu, très catholique et leurs enfants Julia et Hugo. Le jeune garçon Isaac, leur voisin orphelin de mère, tisse des liens d’amitié avec Hugo. Et ce n’est pas soeur Anne mais Isaac qui aura un jour une vision. Tout le monde est bien vite au courant et la vie locale va s’en trouver bouleversée. C’est un roman empreint de religion, de mysticisme : le lecteur adhère ou non. L’auteure décrit les paysages de cette côte bretonne de facon magistrale. Il n’en demeure pas moins que l’histoire est un peu « abracadrabantesque ».
Dernière nuit à Soho de Fiona Mosley (Grande Bretagne)
Deuxième roman de Fiona Mozley, auteure britannique trentenaire. Le premier « Elmett », publié en 2017, a connu un grand succès. Il était plutôt ancré dans la nature et la ruralité alors que celui-ci se passe en milieu urbain, à Londres, dans le quartier de Soho. Ce quartier était auparavant considéré comme un quartier « chaud » avec ses maisons closes et ses prostituées. Il semble que les choses ont changé : c’est aujourd’hui un quartier à la mode et c’est cette évolution que raconte Fiona Mozley. Elle dresse une galerie de portraits : prostituées, SDF, clients de restaurants et bars plus ou moins louches, constituent une faune attachante et drôle. Intervient alors Agatha, à la fois agente immobilière et propriétaire de nombreux immeubles à Soho. Elle veut vider le quartier de toute cette population à la fois flamboyante et misérable et pour ce faire, elle n’hésite pas à augmenter fortement les loyers, son but étant de construire des immeubles luxueux et de changer l’image de Soho. Entraînés par une prostituée haute en couleur, Precious, les habitants vont se liguer contre Agatha ce qui donne lieu à des manifestations diverses. Les personnages, tous plus ou moins cabossés par la vie sont très attachants : le livre est à la fois drôle et tragique, jamais vulgaire. Une lecture très agréable.
Les enfants endormis de Anthony Passeron
Le narrateur se plonge dans l’histoire familiale, avec comme point de départ le décès d’un oncle, mort très jeune. Un oncle dont on ne parle qu’à demi-mot. Pourquoi ? Parce qu’il est mort du SIDA, dans la France des années 80 dans un petit village où il devient un paria. Les grands parents de l’auteur étaient bouchers dans ce village, mais le petit commerce commence à péricliter avec l’arrivée des grandes surfaces. La famille est atteinte à la fois par ce problème de disparition de son commerce et par l’opprobre jeté sur la famille par ce fils toxicomane contaminé par cette maladie. Anthony Passeron raconte aussi l’histoire du SIDA : son apparition, les recherches des médecins, le sang contaminé, les premières thérapies et l’évolution des mentalités.