De temps en temps, des lectrices (plus rarement des lecteurs) de la bibliothèque des Abeilles se réunissent pour commenter les livres qu’elles ont lus ou simplement venir écouter, pour plus tard, peut-être lire des ouvrages dont elles ont entendu parler. Voici les livres présentés le 9 avril dernier.
L’amour de François Bégodeau
L’amour d’un couple, pendant 50 ans, sans crise, sans événement grave. Un petit livre de 90 pages, mais un long fleuve tranquille. L’auteur accompagne ses personnages mais ne les juge pas. Jeanne et Jacques vivent l’un à côté de l’autre pendant cinq décennies, rythmées par les émissions d’Europe 1, les chansons populaires, le catalogue de La Redoute. L’amour ne se traduit pas en mots dans ce roman qui est quand même un plaisir de lecture drôle et bouleversant.
L’épaisseur d’un cheveu de Claire Bérest
Un couple parfait (?). Etienne et Violette, que tout le monde appelle Vive, sont mariés depuis dix ans. Lui est correcteur dans une maison d’édition, elle est photographe. Ils n’ont pas d’enfant. Ils ont une vie sociale importante qui est l’occasion pour l’auteure de décrire le monde parisien « bobo » : de concerts en vernissages, le lecteur suit Vive et Etienne. Mais cette façade idéale va peu à peu se fendiller : Etienne est très « psychorigide », ne se remet jamais en cause et ne comprend pas ce à quoi s’intéresse sa femme qui, elle, a l’esprit plutôt bohème. En l’espace de trois jours, la tragédie va survenir : une fin très dure que l’auteure livre au lecteur dès le début du roman. Quelque chose va tout faire dérailler, quelque chose d’aussi infime que l’épaisseur d’un cheveu.
Eruptions, amour et autres cataclysmes de Sigridur Hagalin Bjornsdottir
Un livre où il est beaucoup question de volcans, de géologie, de coulées de lave et de retombées de cendres. Le personnage principal, Anna, est une géologue d’une quarantaine d’années, mariée à Kristin, conseiller fiscal, mère d’un grand garçon qui travaille dans une fonderie et d’une petite fille de 7 ans, en admiration devant sa mère. Couple heureux, une belle maison, de beaux enfants… peut-être un bonheur qui ronronne. Les volcans, eux ne ronronnent pas : il y en a partout, autour de Reykjavik, et même sous certains quartiers de la capitale. Anna est professeure de volcanologie à l’université et directrice de l’Institut des Sciences de la terre. L’activité sismique semblant s’amplifier, elle est en première ligne, avec les météorologues et la Sécurité civile : ils doivent prendre les bonnes décisions au bon moment. A partir de quand augmenter le niveau d’alerte ? Faire fuir les touristes ? Semer l’inquiétude dans la population ? Attendre ? Les intérêts et les analyses des uns et des autres s’affrontent. Et survient un photographe, Tomas, qui va faire irruption, comme un volcan, dans la vie d’Anna.
Un livre qui n’est pas très long mais qui demande parfois un effort de lecture car les données scientifiques sont nombreuses et parfois incompréhensibles pour qui n’est pas familier des convulsions de l’écorce terrestre. Une histoire qui tient toutefois le lecteur en haleine.
Black Summer de CRAVEN M.W.
Roman policier qui met en scène l’inspecteur Whashington Poe : il s’agit de sa deuxième enquête. Le premier roman s’intitulait « Le cercle de pierres ». Poe est le genre de policier qui se fait des ennemis plus vite que des amis, d’abord parmi ses collègues. Il est aidé dans ses enquêtes par sa collège Tilly Bradshaw, geek de très haut niveau mais socialement inadaptée. Ce n’est qu’avec Poe qu’elle se sent à l’aise. L’inspecteur a fait condamner un chef cuisinier étoilé, il y a 6 ans, pour le meurtre de sa fille. Mais le corps de celle-ci n’a jamais été retrouvé. Un jour, une jeune femme en très mauvais état physique, arrive dans un commissariat en affirmant qu’elle est la femme disparue. Une analyse ADN confirme son lien avec le chef cuisinier. Mais Poe n’y croit pas. Il soupçonne « un coup fourré » et va enquêter dans toutes les directions afin de prouver qu’il a raison contre tous. Il y a des scènes amusantes avec sa collègue, une découverte de la cuisine étoilée britannique avec des plats minimalistes et une ambiance très british dans une région rurale, le Cumbria, au Nord-Ouest de l’Angleterre, juste avant la frontière écossaise. La découverte d’un auteur et d’un nouveau héros de roman policier.
Le roi nu-pieds de François d’Epenoux
Une relation père-fils difficile : le jeune homme quitte sa famille pour « vivre sa vie » dans la ZAD de Notre Dame des Landes. Au bout de trois ans, il revient dans sa famille, accompagné de sa copine et de son chien. Mais Niels vit dans la maison de vacances familiale comme il vivait dans la ZAD : il est sale, il a les cheveux un peu trop longs, il fume des « pétards », dort plutôt le jour que la nuit… L’ambiance devient vite explosive et Niels repart dans sa ZAD. Le père se retrouve sans emploi, sa compagne le quitte : il rejoint à son tour la ZAD, mais sans tout de suite prendre contact avec son fils. Il découvre alors que ce fils est plutôt apprécié par son entourage : il cultive des légumes « bio », fait des travaux de menuiserie,… Père et fils finissent par se retrouver : Niels est toutefois méfiant car il se souvient de son père comme d’un « homme à principes ». Ils finissent cependant par renouer une relation apaisée : l’auteur est résolument optimiste et sa vision peut paraître un peu idyllique, un peu trop « gentille ».
La sentence de Louise Erdrich (Prix Femina étranger 2023)
Ce roman a été lu par plusieurs des lectrices présentes. Il met en scène, comme les autres romans de l’auteure, les relations souvent conflictuelles entre les « américains », descendants des premiers colons et les « natifs » du territoire, à savoir les descendants des indiens qui ont été et sont toujours, victimes d’intolérance et de racisme. Les personnages de cette histoire sont essentiellement des femmes qui travaillent dans une librairie indépendante qui s’attache à défendre les auteurs-res qu’elles aiment et conseillent à leurs clients qui deviennent souvent des amis. Survient la crise sanitaire du COVID avec le confinement, les masques, les précautions à prendre. Elles ouvrent la librairie à tour de rôle pour éviter la faillite de ce qui fait leur raison de vivre et tâchent de survivre dans cet univers complètement chamboulé. Arrive alors une histoire de fantôme dans la libraire : toute la partie consacrée à ce « nouvel acteur » du roman a semblé un peu trop longue à plusieurs des lectrices. Mais la vie d’une petite librairie est passionnante à suivre, (surtout pour des personnes qui gèrent une bibliothèque !), d’autant plus que cette librairie existe vraiment : elle a été créée par Louise Erdrich qui invite les lecteurs, à la fin du roman à privilégier ce type de magasins plutôt que les grandes surfaces ou l’achat sur internet. Figurent également, à la fin du livre des listes de livres, ceux qui sont cités dans le roman et d’autres telles que : « Courts romans parfaits », « Liste spéciale gestion de fantômes », « Livres pour amours interdites », « Livres sublimes », etc. Il s’agit pour l’essentiel de livres américains, mais on y trouve aussi Stendhal, Tchékov, Amitav Ghosh ou Bohumil Rhabal…
Les amants du Lutetia d’Emilie Frèche
Dans une chambre de l’hôtel Lutetia, un garçon d’étage découvre un matin un couple d’octogénaires, main dans la main, endormis pour l’éternité. Leur fille, Eléonore, va lutter pour essayer de leur pardonner cet acte, les comprendre et finalement accepter leur héritage, car il semble qu’ils n’aient pas pensé à elle en organisant leur mort. Le lecteur suit l’évolution psychologique de cette femme, d’abord en proie à l’incompréhension et au chagrin. Un couple qui avait tout pour être heureux : la fortune, des vies bien remplies et qui s’offre la liberté de choisir sa mort. « Qu’il reste de nous notre amour infini de la vie, de sa beauté et de sa légèreté » écrivent-ils. Roman à la fois drôle et bouleversant qui met en scène la vie de publicitaires très riches, incarnations de l’euphorie de la fin du XXème siècle.
Impossibles adieux de Han Kang (Prix Médicis étranger 2023)
Le ressenti de trois femmes dans la Corée du sud contemporaine, confrontées à une mémoire commune : le massacre de milliers de civils par l’armée, en 1948/1949, pour la simple raison que ces personnes étaient soupçonnées d’être communistes. Ces événement sont évoqués au travers d’une intrigue assez complexe (surtout pour des occidentaux qui connaissent mal l’histoire de la Corée) : Gyeongha va entreprendre un long voyage vers l’île de Jeju, à la demande de son amie Inseon, qui a été hospitalisée car elle s’est gravement blessée à la main en coupant du bois. Or, elle a laissé sur l’île son perroquet blanc qui risque de mourir de faim et de soif ! Gyeongha part pour sauver l’oiseau mais va se retrouver en pleine tempête de neige, bloquée dans cette maison où elle trouve des archives qui font renaître l’histoire terrible de la famille q’Iseon et du passé sanglant de la Corée. Le roman aborde les thèmes de la mémoire, de l’amitié, de la lutte contre l’oubli… Le perroquet vient alléger malgré tout, la noirceur du récit.
Le grand feu de Leonor de Recondo
Deux avis opposés sur ce livre. L’histoire : à la fin du XVIIs. naît à Venise Ilaria, fille de marchands d’étoffes. Ses parents la confient à une institution religieuse, la Pieta, où Ilaria va grandir en voyant ses parents une fois par an. A 13 ans, elle se découvre une passion pour la musique alors que sa mère rêvait de l’entendre chanter dans le choeur de la Pieta. Ilaria va devenir la copiste du grand Vivaldi qui enseigne le violon dans l’institution. Elle se lie d’amitié avec une autre adolescente (une « externe » dirait-on aujourd’hui) et va pouvoir découvrir Venise avec elle et aussi faire la connaissance de son frère.
L’une des lectrices a beaucoup aimé et s’est laissée emporter par l’ambiance de Venise, le carnaval, la musique de Vivaldi…
L’autre lectrice considère que ce court roman baigne dans un romantisme qu’elle qualifie de « cul-cul la prâline ». A l’appui de ses dires, elle cite une critique de Babelio, seule voix discordante parmi un déluge d’éloges : « Ce roman avait tout pour faire un beau feu d’artifice ! Vivaldi à Venise, la délaissée, la recluse qui trouve l’amour, un soupçon d’homosexualité refoulée, et là, ça fait flop. Rien ne s’anime, rien n’éveille, rien ne titille notre intérêt. le grand feu ne fait pas d’étincelles. C’est beau et très bien écrit, là-dessus, rien à redire, la plume de Léonor de Recondo est esthétique à souhait. Mais le trop beau est parfois ennuyant. Pas un défaut, pas une manie. La musique et Vivaldi sont sous-exploités. Ce roman est aussi lisse qu’un billard botoxé. Un peu trop pour moi. »
Pour les départager, à votre tour lisez Le grand feu !
Avec les fées de Sylvain Tesson
Le récit d’un écrivain-voyageur qui part avec deux amis découvrir ou redécouvrir la côte atlantique : périple qui se fait à la fois en bateau, à vélo, à pieds. Le voyage commence en Galice, se poursuit en Bretagne, en Cornouailles, au Pays de Galles, sur l’île de Man, en Irlande, en Ecosse. ( Le festival interceltique, en quelque sorte ! ). Sylvain Tesson quitte parfois le bateau pour pérégriner seul pendant quelques jours. Il décrit ce qu’il voit, ce qu’il ressent. Des descriptions émaillées de réflexions philosophiques ou humaines, de jeux de mots, de comparaisons amusantes. C’est un plaisir de se laisser porter par sa prose vivante. Des chapitres très courts qui permettent de se repérer sur les cartes manuscrites reproduites dans le livre.
Une citation : « Le promontoire recèle trois trésors : la promesse, la mémoire, la présence. On se tient au bout d’un cap de l’Ouest, impatient de ce qui surgira (la promesse), heureux de ce qui se tient dans le dos (la mémoire) et campé sur la falaise (la présence) ».
En vérité Alice de Tiffany Tavernier
Alice a un compagnon : une relation malsaine, car il est très exigeant et autoritaire. Mais Alice est sous son emprise et est persuadée qu’elle le sauvera, grâce à l’amour qu’elle lui porte. Son mari ayant perdu son emploi, Alice cherche du travail, mais elle a un CV inexistant ! Finalement elle réussit à se faire recruter par une association diocésaine qui la charge de mettre de l’ordre dans les dossiers des « aspirants » à la canonisation afin qu’ils puissent être proposés au Vatican. Elle ne connaît rien à cette procédure extrêmement compliquée, pleine de pièges et de circonvolutions mais elle est entourée de gens bienveillants qui lui viennent en aide. Peu à peu, Alice va s’épanouir dans ce travail très particulier, ce qui ne sera pas du goût de son compagnon qui sent qu’elle lui échappe. Un univers très étrange mais très documenté que l’auteure fait découvrir à ses lecteurs. Et que de candidats à la sainteté !
Harlem Shuffle de Colson Whitehead
Harlem Shuffle est à l’origine un pas de danse, puis le titre d’une chanson des Rolling Stones, restée longtemps en tête des hit-parade et enfin le titre du roman de Colson Whitehead. C’est sans doute le pas de danse qui a inspiré l’écrivain : des allers-retours, en avant, en arrière, sur les côtés. Son personnage principal, Ray Carney va et vient dans le quartier de Harlem, à New-York, sans aller voir ce qui se passe ailleurs dans la ville. Il navigue aussi entre légalité et entorses à la loi : vendeur de meubles estimé, marié, père de famille, il dissimule une seconde vie qu’il n’a pas vraiment voulue… question de circonstances…
Le roman se compose de 3 parties datées: 1959, 1961, 1964. Le lecteur suit Ray qui gère au mieux son magasin et les petites affaires louches qu’il a été plus ou moins contraint d’accepter. Il y a la vie de Harlem, avec parfois des émeutes, des meurtres, des histoires de drogues et de mafia et il y a la vie de Ray, mari et père exemplaire… Comme dans tous les romans de Whitehead, la condition des noirs est le thème qui sous-tend l’histoire : les noirs et les blancs, mais ici aussi, les noirs les plus riches et les noirs les moins riches…
La ville de vapeur de Carlos Luis Zafon
Un recueil de onze nouvelles de cet auteur catalan qui n’a cessé de nous faire découvrir Barcelone et les livres, quels qu’ils soient ! Ce recueil a été publié après son décès, survenu en juin 2020 à Los Angelès où il résidait depuis 1993 (il était également scénariste).
Cette parution posthume avait été voulue par l’écrivain. On y retrouve ses thèmes favoris : écrivains maudits, bâtisseurs visionnaires, identités usurpées, une Barcelone gothique. Des récits sombres où l’on trouve beaucoup de tristesse.